Le banc d’essai des accélérateurs à poudre
Parmi les nombreuses installations du CSG, le BEAP est unique en son genre. Il a été spécifiquement conçu pour le développement et la qualification des moteurs à propergol solide qui propulsent les lanceurs européens.
Un équipement clé
Conçu et exploité par le CNES depuis 1991, l'objectif de ce banc d'essai est de qualifier des moteurs à propergol solide en cours de développement pour de futurs lanceurs, ou de contribuer à des programmes de suivi technologique.
Le BEAP a d'abord permis de tester en conditions réelles les étages d'accélération à poudre utilisés par Ariane 5 et Vega, puis leurs évolutions pour Ariane 6 et Vega-C, voire la future Vega-E.
On s'assure ainsi du bon fonctionnement de ces éléments critiques avant leur utilisation en vol. Ces tests sont indispensables pour valider la conception, les matériaux employés, ainsi que les techniques de production des boosters, garantissant leur performance et leur fiabilité, et contribuant à l'amélioration continue des technologies de propulsion solide à l'échelle européenne.
Les infrastructures du banc d'essai
Le BEAP est constitué d'une zone d'essai et d'un poste de contrôle dédié.
Le banc lui-même se compose d'une tour métallique de 50 mètres de haut, à l'avant de laquelle est installé le propulseur pour l'essai à feu. La tour est érigée sur une plate-forme en béton qui surplombe un immense carneau taillé dans le granit. Mesurant 200 mètres de long, 35 mètres de large et 60 mètres de profondeur, et offrant un volume impressionnant de 250.000 mètres cubes, ce carneau est destiné à canaliser les gaz de combustion produits lors des tirs.
Le BEAP est relié par voie ferrée au BIP (bâtiment d’intégration des propulseurs) où sont préparés à la fois les spécimens de qualification qui vont être testés mais également tous les moteurs à propergol solide utilisés pour les lancements.
À environ 1 km du BEAP se trouve le poste de contrôle éloigné, situé dans un bunker étanche pour abriter les équipes en toute sécurité. Il comporte principalement des bureaux et une salle de contrôle/commande, avec 4 pupitres de contrôle qui permettent de piloter à distance l'essai à feu.
Un concentré de technologie... et de sécurité
Le BEAP dispose de dispositifs mécaniques et de systèmes de contrôle qui permettent de maîtriser et suivre les phases de tests, en toute sécurité.
Afin de quantifier précisément la performance du moteur, le BEAP est équipé d'un dispositif de mesure de poussée (DMP) très élaboré. Structure haute de 40m et pesant 20 tonnes, le DMP maintient le propulseur durant l'essai. Il permet de mesurer sa poussée, d’amortir le choc de l’allumage tout en lui assurant un certain degré de liberté pour qu’il soit dans des conditions représentatives du vol, et enfin il assure une fonction de pesée du spécimen d'essai après tir.
Depuis la salle de contrôle, le système d'acquisition de données enregistre l'ensemble des mesures recueillies grâce aux capteurs posés sur le propulseur et le banc lui-même. Un système de contrôle commande sophistiqué orchestre l'intégralité de l'essai, y compris le contrôle de la buse du moteur et le pilotage des actionneurs qui orientent la tuyère.
Durant l'essai, le propulseur est fermement maintenu en place grâce à des anneaux et un câble de sécurité pour l'empêcher de décoller. Mais au cas très improbable où le système serait défaillant, le banc est équipé de « couteaux » anti-envol, des bras articulés configurés pour venir percuter l'enveloppe du moteur et le détruire sur place.
Des systèmes de fluides pour l'alimentation en azote, hélium, fluides hydrauliques et eau sont également présents pour les besoins des tests et du refroidissement.

Les « couteaux » anti-envol sont des bras articulés qui viennent perforer le spécimen pour le détruire en cas d’envol intempestif
Le déroulement d’un essai à feu
Une campagne d'essai au BEAP peut s'apparenter sous divers aspects à une campagne de lancement, mais avec ses spécificités.
1. Tout d'abord, il est nécessaire de réactiver le BEAP, c’est-à-dire rallumer et vérifier tous les systèmes après leur phase de sommeil qui peut être de plusieurs années entre 2 essais.
En parallèle on procède à la vidange du carneau qui est généralement rempli par les eaux de pluie. Pour des raisons environnementales, on doit le vidanger complètement avant l’essai pour ne pas polluer l’eau qui serait ensuite relâchée dans la nature. La vidange complète prend en moyenne 3 mois.
2. Pendant ce temps, l’entreprise Europropulsion prépare et assemble le moteur d'essai au sein du Bâtiment d'Intégration Propulseurs (BIP). Il est équipé d’environ 600 capteurs et des dispositifs mécaniques lui permettant de s’interfacer avec le banc d’essai. Il est ensuite transporté du BIP vers le BEAP à l’aide d’une palette spécifique sur une voie ferrée.
3. La campagne d'essai proprement dite est réalisée par le CNES : accueil et équipement du propulseur au BEAP, raccordement aux équipements de mesure, essais de pilotage, mise en place systèmes de sécurité et protections thermiques. Un tir à blanc est réalisé à J-1.
L'équipe, coordonnée par un responsable d'essai, est composée d’environ 15 personnes. Elle s’appuie comme pour une campagne de lancement sur des moyens communs transverses du CSG (climatisation, énergie, détection incendie, réseau d’eau, optique vidéo…) et active les services de la Sauvegarde, de la météo et de la Sécurité.
4. Après la mise à feu, dont la durée peut atteindre plus de 2 minutes pour un moteur tel que le P160C qui contient 160 tonnes de poudre, les données collectées sont minutieusement analysées afin de vérifier sa performance et de la comparer aux prévisions.
Une étape cruciale juste après le tir consiste à refroidir les installations à l'aide d'azote, afin de stopper au plus vite la combustion des composants du modèle d’essai et ainsi obtenir les observations les plus fiables.
5. La campagne se termine par le démantèlement des équipements de mesure et la mise en sommeil du site… jusqu'au prochain essai.

L'essai à feu du P160C, futur moteur des lanceurs Ariane 6 et vega-C a été réalisé avec succès le 24 avril 2025.
Depuis sa mise en service au début des années 90, le BEAP a connu plusieurs évolutions, pour s'adapter au développement de propulseurs à propergol solide sans cesse plus grands et plus sophistiqués.
Le premier tir d'essai, le B1, a été réalisé Le 16 février 1993, contribuant à la qualification des moteurs de la fusée Ariane 5. Depuis, le BEAP a été utilisé pour 19 essais à feu significatifs, issus de divers programmes de développement de moteurs à propulsion solide.
Le dernier en date, le 24 avril 2025, a été celui du moteur P160C destiné à une version améliorée du lanceur Ariane 6, appelée «Block 2», ainsi que pour Vega-C et son successeur Vega-E.