Les 650 km2 de forêt du CSG sont pour nous une référence en termes de forêt littorale non soumise à la pression de la chasse. C’est unique en Guyane », résume Cécile Richard-Hansen, ingénieure experte Faune Guyane à la direction de la Recherche et Appui scientifique (DRAS). Et elle connait son sujet puisqu’elle étudie la faune guyanaise dans son ensemble depuis plus de 30 ans. « En 2012, le CSG est venu à la rencontre de l’un des ancêtres de l’Office français de la biodiversité (OFB), l’Office national de la chasse et de la Faune sauvage, afin de mieux connaître les animaux de son territoire, la protection environnementale du site étant de la responsabilité du CNES », explique Cécile Richard-Hansen. «Nous avons donc monté une équipe en partenariat avec la DRAS, pour le côté recherche pure, et nous avons signé, en , la première d’une longue série de conventions sur trois ans.»
Un recensement très riche d’enseignements
Beaucoup de travail a depuis été fait. Tout d’abord il a fallu faire un état des lieux des espèces. “À l’issue de ce premier exercice grandeur nature, nous avons été très agréablement surpris, se souvient Cécile Richard-Hansen. À la fois par la diversité des espèces comme par le nombre d’animaux trouvés pour chacune d’entre elles.” Plus de cinquante espèces de vertébrés sont ainsi inventoriées via des pièges à photo automatiques ou au comptage direct. Presque toute la grande faune de Guyane est représentée sur le site. On y retrouve quasiment toutes les espèces de carnivores (puma, jaguar, jaguarondi, ocelot, chat margay), cinq espèces de primates sur les sept potentiellement présentes sur la zone, ainsi que la communauté d’ongulés* au complet. Les pièges photographiques installés sur le territoire ont “capturé” les images de 22 espèces, du puma au tapir en passant par la biche rouge ou le pécari à lèvres blanches.
* Dont les pieds sont terminés par des productions cornées (sabots).
Afin de compléter les données enregistrées, l’équipe s’est aussi lancée dans une démarche appelée IKA (pour indice kilométrique d’abondance). Grâce à cette démarche, il est possible d’analyser l’abondance des espèces les plus communes. Pour réaliser cette grande action de terrain — et d’autres —, l’équipe de l’OFB est secondée par des collègues des différents laboratoires de recherches installés sur l’Unité mixte de recherche EcoFoG de Kourou : universités de Guyane, des Antilles, de Montpellier ainsi que AgroParisTech, l’INRA, le CNRS… et par leurs collègues de l’ONF. 21 espèces ont été prises en compte dans ce calcul d’IKA. Un nouveau comptage a été réalisé à la fin de 2022 et devrait rendre ses résultats sous peu. “Dans une zone protégée de l’homme, faire des IKA trop souvent est sans intérêt, explique Stéphanie Barthe, responsable de l’unité technique Connaissance à la direction de l’Outre-mer (DOM). En outre, dans ce cas précis, ce sont des données à étudier sur le long terme. Nous n’apprendrons sans doute pas grand-chose de plus lors de la mesure de cet IKA… mais cela nous servira pour les travaux à venir. En outre, c’est une analyse codifiée, utilisée dans tous les parcs naturels français. Là encore, nous servons de zone de référence.”
Des études spécifiques
“Après l’IKA, nous avons choisi nos premiers axes de recherche en fonction des spécificités des espèces ou des nécessités liées au terrain”, raconte Cécile Richard-Hansen. Des programmes sont lancés autour des tapirs, des jaguars, des pécaris à lèvres blanches et des biches rouges. Pour chaque espèce, la procédure utilisée est la même ou presque : les individus sont attrapés et marqués, suivis par GPS ou par satellite ou via des pièges photo.
Le jaguar, animal emblématique de la Guyane
Sur le territoire, ce grand félin est considéré comme espèce dite à enjeux social et écologique. Il est donc suivi de près depuis le début des conventions. La grandeur du territoire, sa facilité d’accès par des pistes internes et surtout son statut de zone non chassée font du CSG un lieu particulièrement favorable à l’observation des jaguars. Le braconnage y est reconnu comme très peu actif. L’étude se déroule sur le périmètre d’habitat d’un animal, soit 300 km2. Sur cette zone, plus de 70 pièges photographiques ont été installés sur une trentaine de stations. Certains animaux ont été marqués… et baptisés : Spoutnik, Galilée, Orion ou Eve ont ainsi été suivis pendant des périodes plus ou moins longues. La quantité de grands félins étudiés reste modeste — moins de cinq —, mais les études sur ces espèces et notamment sur les jaguars sont rendues indispensables eu égard à leur implantation dans des zones peuplées et aux conflits fréquents avec les hommes. Mieux les connaître est toujours nécessaire. D’autres études, notamment génétiques ont été ensuite menées via l’analyse de selles récoltées. Les travaux seront vraisemblablement encore présents dans les projets déclinés dans la prochaine convention.
Une quantité de pécaris unique en son genre
Le pécari à lèvres blanches est l’une des espèces marquantes de la forêt amazonienne. C’est l’un des principaux gibiers chassés. Il vit en larges troupes pouvant atteindre plusieurs centaines d’individus et patrouille sur d’immenses domaines. Espèce récemment classée comme quasi menacée, elle avait quasiment disparu de la Guyane… sauf sur le territoire du CSG ! Une aubaine pour Cécile Richard-Hansen qui en a fait un de ses thèmes d’études favoris pendant plusieurs années. “Nous sommes désormais arrivés au maximum de nos capacités, car chercher plus avant demanderait des moyens techniques trop complexes. Mais nous avons fait des avancées majeures sur le sujet — même s’il reste tant à comprendre — et nos travaux ont fait l’objet d’une publication, ce qui reste la raison d’être de la DRAS.”
Les tapirs et les biches rouges à la loupe
Les tapirs de la zone ont également fait l’objet d’études afin, notamment, de comparer la densité de l’espèce avec d’autres zones telles que celle de la réserve des Nouragues (réserve naturelle guyanaise au milieu forestier radicalement différent). En fonction des époques et des problématiques, des analyses de données GPS, satellite ou photographiques ont été analysées. Au bout de quelques années, le suivi des tapirs et de leur mode de vie a été interrompu. Celui des biches rouges, en revanche, continue. Notamment parce que “le projet de transfert de la petite colonie installée sur le pas de tir d’Ariane 6 n’a pas porté ses fruits”, résume Stéphanie Barthe. “L’évolution de leur nombre sera donc suivie de près par le biais de pièges photographiques afin de vérifier qu’elles ne deviennent pas trop nombreuses.”
Aujourd’hui les hoccos… demain, les tortues de mer ?
La dernière convention a été marquée par un vaste programme de suivi du hocco. Ce grand oiseau terrestre noir est à la Guyane ce que la dinde de Noël est à la métropole ! Très chassé, il est soumis à un quota de 1 animal par sortie de chasse et par chasseur. Présent en relativement grand nombre sur le territoire du CSG, il peut se développer hors de la pression de la chasse. Très peu étudié, le travail autour de l’espèce sur la zone — commencé en 2021 et toujours en cours — va permettre de mieux connaître son domaine vital et ses caractéristiques paysagères. Le hocco sera sans doute lui aussi présent dans les préconisations de la DOM au cours des discussions sur la construction de la prochaine convention. “J’aimerais beaucoup que nous puissions travailler sur une nouvelle espèce : la tortue marine, ajoute Stéphanie Barthe. Lors de survols du CSG en ULM et en hélicoptères, nous avons trouvé beaucoup de plages isolées. Elles pourraient nous servir de point de départ pour des comptages des pontes dans le cadre du Plan national d’actions en faveur des tortues marines.” Car entre chaque convention, des espèces arrivent, d’autres partent, en fonction des besoins des études et des attentes des scientifiques. Rendez-vous en fin d’année pour connaître la nouvelle moisson de lauréats.